Élément incontournable des synthétiseurs analogiques commerciaux depuis leurs débuts, l’enveloppe ADSR fait partie des blocs de modulation servant à donner vie au son généré, à savoir sa fluctuation au cours du temps.
Sans cela, le son généré serait quelque peu statique et monotone. Mais surtout le son en sortie n’existerait tout simplement pas! Car pour créer un son, il faut bien que son volume arrive à un certain niveau sonore en partant de zéro. Puis qu’il revienne à nouveau à zéro quand on désactive la note jouée sinon il ne s’arrête jamais. C’est ce qu’on appelle le profil dynamique (ou d’intensité) du son, soit l’évolution de son amplitude au cours du temps.
Et c’est l’enveloppe, pilotant l’amplification en sortie du synthétiseur, qui va permettre de « sculpter » ce profil dynamique.
L'enveloppe d'amplitude d'un synthétiseur
On a vu jusqu’ici les éléments constitutifs du son d’un synthétiseur à travers les oscillateurs et les filtres. Il faut ajouter à cela le dernier bloc constitutif du son: son amplification en sortie. C’est le VCA (Voltage Controlled Amplifier) qui assure cette fonction de contrôle du volume dans un synthétiseur analogique.
Bien qu’elle puisse être affectée à diverses destinations (voir plus bas), l’enveloppe principale d’un synthétiseur analogique agit sur le VCA. L’enveloppe est donc la première source de modulation d’un synthétiseur et c’est une enveloppe d’amplitude: elle agit sur le volume de sortie du son, elle crée le contour en volume des notes individuellement.
Sans elle, pas de son! Absolument TOUS les synthétiseurs possèdent une enveloppe d’amplitude (ou d’amplification). Suivant les synthétiseurs, le VCA intègre une enveloppe par défaut, ou alors l’enveloppe se trouve dans la section Modulation, parmi d’autres, mais au moins une est affectée par défaut au volume de sortie.
Pour vraiment comprendre l’amplificateur de sortie du son, il faut d’abord bien assimiler comment fonctionne l’enveloppe.
L'enveloppe dynamique du son et le timbre
Dans son « Traité des objets musicaux », Pierre Schaeffer, père de la musique concrète, conceptualise dès les années 60 le son d’attaque d’un instrument. Il prouve son importance capitale dans le reconnaissance du timbre de l’instrument.
Dans mon article sur les EQ et la perception du timbre, je parlais du contenu spectral d’un son qui formait son timbre. Et bien, l’attaque, et plus globalement l’enveloppe dynamique du son participe tout autant à la définition du timbre d’un instrument.
Il suffit de faire l’expérience d’enlever à un son de piano ou de guitare sa partie initiale qui constitue son attaque. Le son résultant n’est alors plus du tout reconnaissable. Et quelqu’un qui l’écouterait à l’aveugle ne l’identifierait plus comme un son de piano (ou guitare) mais plutôt d’un violon!
Note de piano
Même note avec une enveloppe sur le volume long attack short release
L'enveloppe ADSR en détail
L’enveloppe typique se divise en 4 paramètres: Attack (l’attaque), Decay (le déclin), Sustain (le maintien), Release (le relâchement) → ADSR
Dans l’exemple ci-dessus, à l’enclenchement de la note, l’enveloppe fait passer le son du silence à son niveau maximum (100%) par l’intermédiaire du temps d’attaque. De là, la note jouée (touche d’un clavier toujours enfoncée) voit son volume diminuer par l’intermédiaire du « decay », jusqu’à atteindre le niveau de maintien du son (Sustain). Enfin, au relâchement de la note (Midi note « Off », touche relâchée), le son s’éteint de manière plus ou moins progressive (résonance de l’instrument) par l’intermédiaire du temps de « Release », du niveau de Sustain jusqu’au silence.
A pour "Attack"
= temps de montée du volume à son niveau maximal à partir du moment où on joue le son (note ON)
C’est le temps de transfert de l’énergie lorsqu’elle passe de l’élément excitateur à l’élément excité.
—> Un temps d’attaque court sera ainsi plus pertinent pour créer des sons dont on attend une présence immédiate, claquants (percussions, cuivres). À l’inverse, des nappes et des sons éthérés justifieront un temps d’attaque plus long.
D pour "Decay"
= temps de descente du volume vers le niveau soutenu (pas d’incidence si S est au maximum)
Désigne le temps que le son met pour redescendre de son niveau maximal, après avoir atteint celui-ci à l’issue du temps d’attaque (temps de stabilisation du signal).
Pour la plupart des réglages, la durée maximale du Decay est supérieure à l’Attack. La plupart des synthés numériques d’aujourd’hui permettent d’appliquer des Decay très longs, appréciables pour recréer des sons qui « meurent » lentement.
Un Decay court permet par exemple d’ajouter du mouvement au son ou accentuer l’attaque, mais au prix d’une diminution de l’impression générale de volume sonore.
S pour "Sustain"
= niveau soutenu du volume
C’est le niveau de volume que l’on souhaite atteindre après l’attaque et le decay, et auquel on souhaite qu’il se maintienne tant que la note est jouée. Comme cela dépend de la durée d’enfoncement de la touche, on ne parle pas de temps de Sustain mais de pourcentage en volume (de 0 à 100%). On le règle en général entre 3 zones basiques:
—> à zéro: permet de créer des sons aux enveloppes courtes (percus, guitare, harpe…)
—> niveau faible à moyen: sons aux tenues légèrement plus longues (piano, gong)
—> niveau max: sons aux tenues constantes (pads, ensemble de cordes…). Dans ce cas, le réglage de Decay devient obsolète.
R pour "Release"
= temps de descente du volume vers l’extinction (niveau 0) à partir du moment où on arrête de jouer le son (note OFF).
Définit le temps que le son va mettre pour s’éteindre définitivement une fois la note désactivée. Cela représente le temps de résonance de l’instrument.
Le release est enclenché dès que la note est relâchée (ou dès qu’un message de « note off » est envoyé au synthétiseur), et ceci même si le reste de l’enveloppe n’a pas été joué.
Petit historique et variantes de l'ADSR
Le concept d’enveloppe ADSR a peu à peu intégré l’ensemble des synthétiseurs commerciaux, à commencer par les Moog et ARP.
Il faudra attendre le DX7, au début des années 80, pour que l’on puisse voir apparaître des générateurs d’enveloppe à huit réglages, séparant niveau et temps.
Si un tel dispositif a apporté de nouvelles opportunités en terme de capacités d’ajustement et de création sonore, la restitution des transitoires par le biais d’un simple système de filtrage n’est pas encore satisfaisante. Et la numérisation des échantillons sonores, avec le Roland D50, permis d’utiliser de véritables attaques échantillonnées avec des sons synthétiques.
Tous les constructeurs ont ensuite appliqué des technologies équivalentes sur leurs instruments. De nos jours, la modélisation physique permet de recréer les enveloppes originales des instruments et leurs intéractions sur les sonorités fabriquées.
Ceci étant les paramètres ADSR restent toujours présents pour ajuster les enveloppes des sons. Dans certains modèles, on peut parfois y trouver des paramètres supplémentaires comme le Delay (durée entre le début de la note et le début de l’attaque, où le niveau reste à zéro) et le Hold (durée entre l’attack et le decay où le niveau est maintenu au maximum).
Profils courants d'enveloppe ADSR
Tous les sons instrumentaux se retrouvent dans l’une ou l’autre catégorie des sons soutenus ou non-soutenus:
– Soutenu: si l’énergie se transmet à l’instrument le long de l’établissement de la note (par le souffle, frottement, vibrations mécaniques);
– Non soutenu: si l’instrument reçoit une énergie initiale soudaine (par la frappe ou le pincement), pour laisser résonner le son puis décliner.
L'enveloppe ADSR type "interrupteur"
L’enveloppe type ‘interrupteur » passe d’un état « ON » à « OFF » en un mouvement instantané. Donc le temps pour passer de 0 à 100% du volume est immédiat (Attack = 0). Le sustain est à 100%, ce qui veut dire que le decay est inutile. A la « note OFF », le son s’arrête aussi immédiatement, donc Release = 0.
Des instruments type orgues sont bien émulés par cette enveloppe. Pour ajouter un peu de mordant au début de la note (orgue plus percussif), réduis le sustain à 80% et règles le decay très court.
L'enveloppe ADSR d'instruments soutenus (violons, cuivres...)
La montée d’énergie est assez rapide avant que la note ne s’installe à un niveau de maintien stable. L’attaque du son est donc proche de 0 mais au-dessus (pas instantané). Puis le son décroît rapidement (decay rapide) jusqu’au niveau de maintien. La note reste à ce niveau jusqu’à l’information de note « OFF » quand le musicien arrête de jouer. Le son résonne alors jusqu’à l’extinction sous les vibrations de l’instrument.
Des valeurs d’Attack et de Decay plus grandes adoucissent la transitoire initiale. Augmenter le niveau de Sustain donne plus de puissance à la note, pour l’amener sur le devant du mix. Augmenter le temps de Release est similaire à ajouter de la reverb et aide à « fluidifier » les transitions de note à note.
L'enveloppe ADSR d'une percussion ou "Pluck"
A l’actionnement de la note, le volume max est atteint immédiatement (Attack 0). Puis, le temps de résonance du son jusqu’à l’extinction se règle par le Decay. Le Release se règle comme le Decay afin que l’enveloppe laisse le son s’éteindre naturellement.
Cette enveloppe type « non-soutenu » émule des instruments frappés, typiquement les percussions et éléments de batterie. Le paramètre de Decay (et Release) est ajusté suivant le type d’instrument simulé. Par exemple, la note d’un gong aura un decay très long alors que celui d’une marimba sera court.
L'enveloppe ADSR du piano
Cette enveloppe est en tout point similaire à la précédente si ce n’est que le temps de Release est laissé à 0. Le son stoppe alors immédiatement dès que la note est relâchée. C’est représentatif d’un piano, où quand une touche est pressée, un marteau frappe une corde et quand la touche est relâchée, un amortisseur stoppe la note. Une enveloppe similaire peut être utilisée pour émuler guitare électrique et basse.
Autres utilisations de l'enveloppe ADSR
Bien sûr, dans tout synthétiseur numérique d’aujourd’hui, l’enveloppe peut être affectée comme source de modulation sur de nombreux paramètres et pas seulement sur le volume de sortie. A toi d’expérimenter! Notamment, l’enveloppe sert à moduler très souvent le cut-off du filtre (VCF) et parfois aussi le pitch de l’oscillateur (VCO).
Action de l'enveloppe ADSR sur l'ouverture (ou fermeture) du filtre
Habituellement utilisé sur le cut-off du filtre pour ajouter du mordant à l’attaque de chaque note. L’allongement du temps d’attaque crée l’effet de « Wah ».
Synth 1
Synth 1 avec enveloppe short attack long decay appliquée sur le cut-off du filtre
Synth 2
Synth 2 avec ouverture de filtre par une enveloppe attack longue sur le cut-off
A la place du cut-off, l’enveloppe peut aussi bien être appliquée à la résonance du filtre pour plus de naturel. Ou bien la même enveloppe appliquée à la fois au cut-off et à la résonance pour des mouvements de filtre plus complexes.
Action de l'enveloppe ADSR sur le pitch
Sert souvent à ajouter un mouvement de pitch à l’attaque du son. Pour des sons percussifs, c’est utile pour changer ou régler le pitch des percussions sur la tonalité du morceau.
Synth 3
Synth 3 avec Enveloppe short attack sur le pitch (+12 st)
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De nos jours, il est possible de faire (presque) tout depuis chez soi! Avec les bonnes connaissances, de l’abnégation et de la passion, je suis convaincu que la création musicale est accessible à tous. Je suis prêt à partager ici avec le plus de pédagogie possible, tous les conseils et astuces qui te seront d’une aide précieuse pour arriver à tes fins.
Merci pour ces explications fort utiles et bien illustrées.
Bravo
Avec plaisir 😉