La gestion des niveaux sonores (9): Les normes de mesure du loudness

Besoin de normes de mesure du loudness

Relativement récemment (début des années 2010), de nouvelles normes de mesure des niveaux  par la mesure du loudness ont vu le jour. Leur implémentation fait suite à une volonté commune de mettre fin à ce que l’on appelle désormais la « loudness war » (littéralement « guerre au volume »). Cette dernière a eu pour conséquence de réduire drastiquement la dynamique (et par voie de fait la qualité sonore intrinsèque) des productions audio de ces dernières décennies.

Car la grande question que se pose toujours n’importe quel producteur audio est de savoir:

A quel niveau final de volume perçu (le loudness) doit-on exporter?

D’un côté, tu veux être sûr que ta production sonne assez fort. C’est-à-dire que son loudness est adapté aux environnements bruyants (voiture, avion, etc…), mais aussi comparable aux autres productions audio du même type, qu’elles soient produites par toi-même ou par d’autres.

D’un autre côté, tu ne veux certainement pas compromettre la qualité sonore par un loudness exagéré et une dynamique écrasée.

Pour répondre à cet épineuse question, il est nécessaire de se mettre au courant des nouvelles unités de mesure du loudness qui sont venues chambouler les habitudes de l’ingé son (en complément des mesures de Peak et RMS). En effet, que tu le veuilles ou non, les nouvelles habitudes d’écoute, par les appareils mobiles et les plateformes de streaming musical, ont changé la donne.

En faisant un « bounce » de ton Master, qu’il soit destiné à être joué à la radio ou sur Spotify, chargé sur Youtube ou simplement écouté dans une playlist Itunes, il sera « transformé ». Et il vaudrait mieux que tu saches comment!

Alors d’où viennent ces normes et quelles sont ces unités de mesure du loudness? Et surtout comment vont-elles nous être vraiment utiles dans la musique?

Je fais le point dans cet article.

Rappel sur le loudness et la "loudness war"

Pour comprendre tout cela, il faut d’abord bien préciser deux choses:

  • Qu’est-ce que représente le loudness?
  • Et qu’est-ce qui a précipité ce que l’on a appelé la « loudness war »?

Pour le loudness, je t’invite à lire (si ce n’est pas déjà fait) les articles précédents qui montrent comment nos oreilles sont sensibles à ce paramètre: sa subjectivité, ce qui le fait varier et en quoi il est différent du niveau RMS.

En ce qui concerne le cercle vicieux de la loudness war, il faut remonter avant l’ère du traitement du son en numérique. A cette époque, l’outil de mesure par excellence s’appelait le Vu-mètre analogique. Même s’il ne permettait pas une mesure précise du loudness, il n’en constituait pas moins un point de référence fiable pour reconnaître un son jouant plus fort qu’un autre.

Le problème du nivellement des niveaux par leur mesure Peak

Puis vint l’ère numérique et le travail sur console analogique peu à peu remplacé par l’ordinateur. Les méthodes de mesure durent évoluées car la limite supérieure du niveau sonore qui était laissée à l’appréciation de l’ingé son en analogique devint la limite du 0 dBFS à ne surtout pas dépasser en numérique!

Jusque là, un non-initié pourrait penser: « Parfait! s’il existe une limite supérieure à ne pas dépasser, ça résout le problème de vouloir sonner toujours plus fort que l’autre ».

Sauf que pas du tout, bien au contraire! Car le niveau Peak du signal ne représente en rien le loudness! De plus, il n’existe alors aucune standardisation pour les correspondances entre « l’intensité électrique » affichée par un Vu-mètre (dBu) et « l’intensité numérique » affichée par un crête-mètre en dBFS. Ces derniers n’indiquent pas l’intensité mais la précision du codage.

L'hérésie du "plus c'est fort, mieux c'est"

Prenons un exemple parlant pour illustrer le concept (pris dans le guide des recommandations EBU R128: Tech 3343):

Considérons un son comme le tintement entre deux verres. Le niveau Peak de ce son est élevé, alors que son niveau de loudness est relativement faible (puisqu’il s’agit d’un son d’impact très bref). C’est le cas de l’épée dans l’illustration ci-dessous.

D’un autre côté, considérons un riff de guitare hard rock bien compressé dynamiquement. Il s’agit cette fois d’un son dont le loudness est presque équivalent à son niveau Peak (illustration de la pelle ci-dessous).

Si on aligne ces deux sons par rapport à leur niveau Peak, le riff de guitare apparaîtra bien plus fort que le tintement des verres!

Mesures du loudness variables et niveau maximum identique
Illustration de différents programmes audio comparés par leur niveau peak identique (0 dBFS). Les niveaux de loudness sont alors très variables.
Mesures du loudness ramenées au plus proche du niveau Peak par compression
Résultat de la compression qui a pour seul objectif d'augmenter le loudness. Ce n'est pas une solution car la qualité sonore de certains programmes s'en trouvera fortement impactée.

images provenant de Edgar Rothermich (pro-tools-expert.com) qui s’est lui-même inspiré de Florian Camerer lors de la présentation AES en 2011.

Bien sûr la solution à ce « problème » s’appelle la compression dynamique du son. Cela sert bien à niveler les niveaux entre les différents éléments d’un même programme audio. Mais le problème historique de la loudness war est de justement se servir de la compression pour augmenter le loudness du programme audio entier au plus proche du niveau peak (et ainsi sonner le plus fort possible).

La loudness war est ni plus ni moins que la tentative de rapprocher le plus possible la ligne verte (le loudness) de la ligne rouge (le niveau peak maximum) sur l’illustration 2. Et cela au mépris d’éléments audio plus dynamiques que d’autres tels que l’épée dans l’exemple.

Des dBFS vers les LUFS: la mesure du loudness

A des fins purement commerciales, les radios puis la TV ont donc utilisé le procédé à outrance afin de s’afficher plus fort que la concurrence (mais aussi pour rendre les publicités plus fortes que le reste).

Avec le temps, il devint de plus en plus évident d’imposer des règles d’uniformisation des niveaux de loudness autour d’une référence commune. S’en est suivi un joyeux bordel de normes en tout genre où chacun dans son pays ou sa spécialité tente d’apporter sa solution.

Stop aux pubs trop fortes: Calm Act et autre EBU à la rescousse!

Alors que dans le secteur musical, des solutions pointent le bout de leur nez (voir plus bas), c’est bien dans le domaine du broadcast (radio, TV) que les choses vont s’accélérer. En effet le secteur du broadcast requiert une réglementation très stricte, contrairement à l’industrie musicale où tout le monde fait un peu ce qu’il veut…

L’organisme ITU (International Telecommunication Union) mettra peu à peu en place l’algorithme de mesure du loudness sous le standard ITU-R BS.1770.

C’est sous ce standard que se posent les bases en 2011 de la recommandation européenne EBU R128 (European Broadcast Union). La plupart des grandes compagnies audiovisuelles européennes adoptent ce système aujourd’hui.

Normes de mesures du loudness

Quant à l’autre côté de l’Atlantique, l’ATSC A/85 est l’équivalent US de l’EBU R128. Il se base sur le Calm Act (Commercial Advertisement Loudness Mitigation Act) qui interdit depuis 2012, sous peine d’amende, de passer les pubs TV plus fortes que le reste (ça rigole plus!).

La mesure LUFS et son unité relative: le LU (Loudness Unit)

L’idée est de niveler les niveaux de tous les programmes audio par leur mesure du loudness. La solution consiste donc à trouver une méthode commune de mesure de ce fameux loudness.

Mesures des niveaux normalisés en Peak vs Loudness
Image tirée de la norme EBU R128 qui montre l'avantage d'adapter le niveau des programmes audio par la mesure de leur loudness plutôt que de leur niveau Peak digital (et des variations en loudness entre programmes qui s'ensuivent).

L’algorithme implémenté par l’ITU-R BS.1770 puis la méthode de mesure reprise par l’EBU R128 débouchèrent sur une nouvelle unité de mesure: le LUFS (pour Loudness Unit Full Scale).

Comme son nom l’indique, par analogie au dBFS, l’échelle de mesure absolue garde son « maximum » numérique à 0: soit 0 LUFS = 0 dBFS.

Mais l’analogie s’arrête là car bien entendu il ne s’agit plus de la même mesure. Une mesure en dBFS est en fait un calcul mathématique basé sur la limitation numérique à 0 dBFS max. Alors que la mesure en LUFS provenant des normes ITU/EBU calcule bien le volume perçu en prenant en compte ce qui fait varier le loudness (fréquence, direction et temporalité sonore).

Un simple test avec un signal Sinus permet de mettre en évidence la différence entre dBFS et LUFS:

Test différence entre LUFS et dBFS (1)
Un signal Sinus à 30 Hz et un niveau "numérique" à -30 dBFS correspond un niveau de loudness de -39 LUFS.
Test différence entre LUFS et dBFS (2)
En augmentant la fréquence du signal à 430 Hz, le niveau dans la DAW reste constant à -30 dBFS alors que le loudness a bien augmenté à -30,7 LUFS.

L’unité relative correspondante (celle graduée sur les indicateurs de niveaux LUFS) est le LU (Loudness Unit). Et 1 LU est bel et bien équivalent à 1 dB (augmenter/diminuer de 1 LU revient à augmenter/diminuer de 1 dB). Le LU indique juste qu’on se réfère à un niveau de loudness.

Il existe d’ailleurs deux échelles graduées différemment pour un indicateur LUFS selon les préférences:

  • L’échelle absolue est comme un indicateur numérique standard avec le maximum à 0 dBFS = 0 LUFS. Le niveau en LUFS est directement indiqué, qu’il soit supérieur ou inférieur à la valeur cible à atteindre.
  • L’échelle relative en LU où l’idée est de faire correspondre le 0 LU au 0 VU des Vu-mètres. Cette fois c’est l’écart en LU par rapport à la valeur cible (en positif ou négatif autour de 0) qui s’affiche.

Remarque sur les LKFS pour éviter toute confusion

Tu pourras parfois (heureusement de moins en moins) retrouver l’unité LKFS. Saches simplement qu’il s’agit exactement de la même chose que les LUFS. Cela provient du fait que depuis la première version du standard ITU (ITU 1770 R2LB), l’unité de mesure est en LKFS (en rapport à la pondération notée K de l’algorithme de mesure suivant le spectre fréquentiel).

Mais c’est bel et bien la norme EBU R128 qui a officialisé l’unité LUFS et qui est reprise aujourd’hui internationalement. Cette unité LKFS est d’autant plus à bannir qu’elle rajoute à la confusion avec le K-system de Bob Katz (voir plus bas) alors que les deux n’ont rien à voir.

Avantages et limites de la mesure du loudness

Avec ce système en place, on est maintenant capable de déterminer une mesure en LUFS de n’importe quel programme audio (un morceau de musique, une pub, un film…) dans son entièreté. Cette mesure peut alors être comparée à une valeur cible, qui est la valeur à « viser » afin d’être en conformité avec les autres programmes audio du même type.

Dans le même temps, une valeur absolue en Peak est bien évidemment toujours nécessaire afin d’éviter le clipping au-dessus de 0 dBFS. Il s’agit de la mesure True Peak dont j’ai parlé dans l’article précédent et qui provient d’ailleurs de cette même norme EBU R128.

Dans un prochain article, j’expliquerai en détail quelles sont les différentes mesures du loudness (car il y en plusieurs…) et comment s’en servir concrètement dans le cas d’un morceau de musique.

Jusqu’ici on peut se dire « Super! », on n’a plus qu’à se caler autour de la valeur cible recommandée et bingo! Sauf que cette fameuse valeur cible, à combien s’évalue-t’elle? Il y a bien sûr la recommandation EBU R128 qui propose la valeur connue de -23 dBFS. Mais cette valeur (qui ne tombe pas du ciel) a été spécialement étudiée pour correspondre à des programmes TV (je rappelle que la norme en question vient du milieu du « Broadcast »).

La question qui se pose alors est « est-ce que cette recommandation est toujours valable dans le cas de la production musicale? »

Quid de l'industrie musicale: les solutions apportées

Comme dit plus haut, l’industrie musicale reste un monde à part où chacun fait un peu ce qu’il veut dans son coin. Avant l’avènement de l’EBU R128 ainsi que le streaming, plusieurs méthodes pour contrer la loudness war ont été implémentées dans le secteur musical.

Des précurseurs: le "ReplayGain" et le "K-system"

On peut citer notamment deux tentatives:

  • Une des premières en 2001 se nomme le « ReplayGain« . C’est un standard qui est toujours implémenté dans certains lecteurs audio comme Spotify. L’algorithme « Sound Check » d’Apple est également basé sur ce standard.
  • le « K-system » conçu et proposé par le célèbre ingénieur en mastering Bob Katz pour normaliser le rapport entre dBFS et dBSPL. Cela se présente comme un système de calibration d’enceintes de studio combiné à une échelle spécifique de mesure des niveaux pour atteindre une plage dynamique satisfaisante.
Système de mesure du loudness proposé par Bob Katz
Le système proposé par Bob Katz consiste à calibrer ses enceintes de manière à ce que le 0 dB VU corresponde à 83 dB SPL. Et ceci suivant trois domaines d'application exigeant une plage dynamique différente: K-12 (Broadcast), K-14 (Pop music, home-studio) et K-20 (grands studios, musique classique).

La norme EBU de mesure du loudness s'impose peu à peu...

Ceci étant dit, à mon avis, il est inutile de s’embrouiller encore plus avec ce « système K » de Bob Katz. Je l’ai mentionné uniquement pour ton information et cas où tu tombes sur des plugins de mesure qui en font encore référence.

Etant donné que de nombreux fabricants de plugins et de périphériques audio faisaient partie du groupe qui a rédigé la norme EBU, c’est donc le système LUFS qui finit par s’imposer, même aux Etats-Unis! On trouve de plus en plus de plugins « EBU-compliant », des gratuits jusqu’aux professionnels confirmés comme Izotope ou NuGen Audio (voir prochain article).

Il semble en effet que le « système K » de Bob Katz tombe peu à peu en désuétude. Et c’est pas plus mal car le système LUFS a le mérite de donner une mesure universelle, commune à tout le monde, tout en se désolidarisant de la dualité entre valeur Peak et RMS.

... mais pour quelle valeur cible? A quoi correspond vraiment -23 LUFS recommandé par l'EBU?

Il a été démontré qu’une valeur de -23 LUFS est bien trop faible pour des podcasts et de la musique « consommés » en environnement bruyant et sur appareil mobile. Il est généralement recommandé de viser plutôt les -16 LUFS (entre -16 et -20 LUFS pour un podcast).

Les plateformes de streaming: quelle mesure du loudness adopter?

Les nouveaux modes de consommation de la musique entraînent une remise en question sur la gestion idéale des niveaux en mastering. On sait que la grande majorité des services de streaming, tels que iTunes, Spotify, SoundCloud, Youtube, Tidal, Pandora, etc…, utilisent le nivellement des niveaux par le loudness.

Du coup, le risque est réel de masteriser un morceau avec un loudness qui ne « matcherait pas » avec le service streaming en question.

Si on prend l’exemple d’un morceau avec un fort niveau de loudness, de plusieurs dB au-dessus de la valeur cible du destinataire, celui-ci sera alors automatiquement « diminué » au même niveau LUFS que d’autres morceaux avec moins de loudness au départ, mais plus de dynamique.

Mesures du loudness en vue de l'export audio

En soi, c’est une bonne nouvelle puisque cela dissuade finalement de produire des morceaux « ultra-compressés ».

Mais le souci actuel est que les services de streaming individuels ne sont rattachés à aucun standard international (du moins pas publiquement). Toutefois, la majorité d’entre eux ont implémentés le nivellement des niveaux par le loudness, mais chacun étant libre de son algorithme, donc de la valeur cible en loudness recommandée. Pour info, à l’heure actuelle (fin 2019), seuls Tidal, Amazon Music et le ReplayGain version 2 utilisent réellement les LUFS (source Productionadvice.co.uk).

Il faut donc garder à l’esprit que les normes en matière de loudness dans la musique sont un sujet d’actualité en continu. Cela pourrait d’ailleurs faire l’objet d’un nouvel article. Les services de streaming peuvent en effet changer à tout moment leurs recommandations, et sans nécessairement l’annoncer aux utilisateurs!

Conclusion

Pour récapituler, voici ce que tu dois retenir de cet article:

  • Le nivellement des niveaux par le loudness est incontournable aujourd’hui en mastering;
  • L’ITU suivi de l’EBU R128 avec la mesure en LUFS est de loin la norme la plus répandue pour la mesure du loudness;
  • La grande majorité des destinataires de la musique (services de streaming) ont intégré le nivellement des niveaux par le loudness, mais pas forcément la mesure LUFS;
  • -23 LUFS (+/- 0,5 LU) est la valeur cible officielle recommandée dans l’EBU mais en ce qui concerne des programmes TV seulement;
  • -13, -14, -16 LUFS pour la musique??? La valeur cible idéale n’existe pas!

Quelle utilisation pratique dans la musique?

On se situe toujours dans une période de transition: bien que les mesures du loudness en LUFS va sans aucun doute devenir le standard pratique dans les années à venir, la majorité des programmes audio ne suivent pas encore l’EBU R128 ou une recommandation similaire.

Puisqu’il n’y a pas de valeur cible idéale, comment utiliser les LUFS à bon escient? C’est sera l’objet d’un prochain article. On y verra que la mesure LUFS apportée par un plugin dédié n’est pas aussi simple qu’une seule valeur cible. Elle va de pair avec d’autres données tout aussi importantes: le loudness « short-term », le loudness range (LRA), le PSR ou PLR.

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