La gestion des niveaux (4): Comprendre la plage dynamique

image plage dynamique

Dans le contexte d’un morceau de musique, la plage dynamique (ou « dynamic range », DR en anglais) est la différence entre les niveaux les plus faibles et les plus forts au cours du temps. 

J’ai déjà abordé les diverses mesures de niveaux absolus d’un son (en dBSPL, dBu, dBFS…). La plage dynamique, quant à elle, s’exprime simplement en dB (comme toute mesure de différence entre deux niveaux).

Au-delà de cette simple définition s’imbriquent tous les enjeux sur la façon de bien enregistrer, mixer et masteriser la musique.

L'évolution de la plage dynamique avec l'histoire de la musique

Il est important de bien comprendre que cette notion de plage dynamique s’applique également à un système audio (appareil d’enregistrement, support final de la musique…), ainsi qu’à un environnement d’écoute. Ces derniers influencent directement la dynamique réelle d’une musique.

De plus, on ne parle pas de la même chose suivant que l’on traite le son de manière analogique ou numériqueEnfin, les traitements associés à la dynamique nécessitent des compromis inévitables dans la restitution sonore finale, le niveau de « loudness » et le timbre.

Dynamique réelle d'une musique

Prenons un morceau de musique classique, joué par un orchestre symphonique. Si le moment le plus calme correspond au tapotement de doigt sur une cymbale au milieu du seul bruit de fond (voir plus loin), on considère que le niveau atteint 40 dBSPL. A l’inverse, le moment le plus fort de l’orchestre entier atteint 120 dBSPL. On obtient alors une pièce musicale d’une dynamique de 80 dB.

En effectuant le même raisonnement pour un morceau de Jazz, la dynamique se situe autour de 20 dB. La plupart des musiques populaires d’aujourd’hui n’ont plus une grande plage dynamique. Elle est très souvent inférieure à 10 dB et même atteindre seulement 4 voire 3 dB!

Evolution avec l'enregistrement et les supports d'écoute

Pour expliquer de telles différences, il faut comprendre la musique d’un point de vue historique. 

D’abord, l’apparition de l’enregistrement puis de la radio a contraint d’adapter la dynamique à différents supports. Par exemple un vinyle ne peut contenir du son sur une dynamique de 60 dB maximum. Il a alors fallu trouver une solution pour réduire la dynamique de notre morceau de musique classique! (C’est l’utilisation de compresseurs et j’aurai largement l’occasion d’y revenir plus tard).

Plus tard, les technologies numériques ont résolu les contraintes dynamiques des supports d’enregistrement (96 dB de DR pour le CD, voir plus loin). Mais alors pourquoi toujours de telles différences?

Adaptation à l'environnement d'écoute

Pendant longtemps, la dynamique d’un programme arrivant au consommateur final était limitée par le seul média d’écoute (disque ou radio). Mais peu à peu se sont ajoutées des considérations commerciales à l’effet pervers liées à la dynamique de l’environnement d’écoute.

En effet, au bruit de fond du média de transmission s’ajoute aussi le bruit de fond du lieu d’écoute. Et si on écoute la radio dans un endroit plutôt bruyant (en voiture par exemple), les parties les plus faibles d’une musique à la dynamique trop grandes seront masquées!

La plage dynamique des programmes audio est alors peu à peu réduite au profit d’un volume moyen perçu (le loudness) plus important. Ce phénomène a donc pour origine les radios qui se faisaient concurrence pour sonner le plus fort: c’est le début de ce que l’on appelé la course au volume ou la « loudness war » en anglais.

* La guerre au volume ("Loudness War")

Le phénomène, vite devenu incontrôlable, a engendré la plupart de la musique de ces dernières années avec des plages dynamiques aussi ridicules que 2 ou 3 dB! Et l’ironie du sort est que les systèmes modernes de support et de diffusion n’ont jamais eu autant de dynamique à nous offrir… Tu peux te référer à cet article pour en savoir plus sur la loudness war.

évolution de la plage dynamique avec la loudness ar
Evolution de la plage dynamique (DR) par rapport au niveau de loudness (niveau moyen perçu) pour quelques albums connus

Mais pour comprendre vraiment le dilemne présenté et comment y remédier, il faut d’abord définir ce que représente le niveau le plus faible et le niveau le plus fort de cette plage dynamique. Définissons quelques termes importants qui seront essentiels dans les mesures de la dynamique sonore.

Niveau nominal

Il faut se rendre à l’évidence: aucun signal musical n’a un niveau constant. La musique est toujours, par définition, dynamique. Le niveau nominal fait alors référence à un niveau de signal moyen idéal.

Je rappelle que le niveau nominal électrique d’un appareil analogique est à +4 dBu. Il correspond au niveau « 0 » des Vu-mètres (0 VU) → voir l’article sur les décibels à ce sujet.

Les compteurs de la plupart des équipements analogiques sont étalonnés pour indiquer «0» lorsque le niveau de signal « idéal » est présent.

Mais je rappelle aussi que dans le cas d’unités numériques, ce « 0 » n’a plus du tout le même sens. Le 0 dBFS correspond au niveau maximum à ne jamais dépasser. Afin de retrouver en numérique la notion de niveau nominal, les matériels et logiciels devraient afficher un niveau « 0 dB VU » à une valeur inférieure au 0 dBFS (la valeur conseillée se situe souvent à -18 dBFS).

Suivant le caractère plus ou moins dynamique d’un programme musical, le signal oscille de différentes manières toujours au-dessus et au-dessous du niveau « 0 ». On est libre de choisir où se situe le niveau nominal pour un signal audio donné.

Vu-mètre Niveau nominal 0
Vu-mètre avec niveau nominal inférieur à 0 VU

Par exemple, sur les images ci-dessus, à gauche, le niveau nominal est au 0 VU (légèrement en-dessous). A droite, on a l’exemple d’un signal percussif comme une caisse claire (très dynamique). Le niveau nominal est alors très en-dessous du 0 VU.

Quoiqu’il en soit, ce niveau nominal se situe à une certaine distance entre le niveau le plus faible (bruit de fond) et le niveau de signal maximal qu’un système peut encaisser.

Limite inférieure de la plage dynamique: le bruit de fond

Toute mesure d’un signal audio est sujette à une forme de bruit ou à un signal indésirable.

En acoustique, il s’agit simplement du bruit de fond de l’espace d’écoute.

En électronique, il est d’origine thermo-ionique. Il y a souvent des choses comme le bruit thermique, rayonné ou tout autre signal d’interférence.

On pourrait penser que dans le monde numérique on en est débarrassé. Mais pas totalement! Il y a ce que l’on appelle le bruit de quantification (voir plus loin).

* Bruit de fond de l'environnement d'écoute

Dans un lieu plus ou moins bruyant, la dynamique musicale en sera fortement impactée. Le niveau du bruit de fond d’une salle (en dehors des laboratoires d’acoustique) est rarement inférieur à 40 dBSPL, ne serait-ce que du fait de la présence d’un public.

Il sera plus facile d’obtenir une grande dynamique dans des lieux silencieux (campagne, cinéma). Au contraire, si on veut écouter la même chose en ville, ou pire en voiture ou dans un avion, la dynamique est considérablement réduite. C’est donc la première raison pour laquelle la plage dynamique d’un programme doit être traitée (compression) pour la réduire. Le niveau moyen est alors plus élevé. Mais en contrepartie, il est difficile de mettre en avant des moments forts.

Réduction de la plage dynamique avec l'environnement d'écoute
Illustration de la réduction de la plage dynamique dans différents lieux d'écoute

* Bruit de fond des appareils analogiques

Tout appareil ou bande analogique émet une certaine quantité de bruit (bien qu’avec un équipement de haute qualité, le bruit est souvent extrêmement faible). Le bruit de sortie de l’appareil est alors son bruit de fond. Les sons dont l’amplitude est inférieure à ce bruit de fond seront masqués.

La règle générale est la suivante: plus on accumule du hardware en chaîne, plus le bruit de fond est élevé et donc la plage dynamique réduite.

* Le Bruit de fond en numérique?

 La plage dynamique dans le monde digital est représentée par la quantification en nombre de bits:

1 bit = 6 dB de DR¹ (théorique)

16 bits = 96 dB de DR

24 bits = 144 dB de DR

Lors de la conversion du signal audio analogique vers numérique (A/N), un signal au nombre de valeurs finies remplace le signal continu analogique. Pour cela, des arrondis à la valeur d’amplitude la plus proche sont nécessaires. Tous ces arrondis accumulés forment des « erreurs » de quantification, ou ce que l’on appelle le bruit de quantification.

Bien sûr, si le nombre de bits de codage alloué au signal audio est assez important (16 bits dans le cas du CD), la marge dynamique (96 dB pour 16 bits) est largement suffisante. Il existe toutefois des précautions à prendre lors du travail dans une DAW. Notamment lors des conversions de fichiers audio dans une résolution inférieure (passer de 24 à 16 bits par exemple)…

On verra dans le prochain article les bonnes pratiques d’utilisation de ta DAW et les pièges à éviter pour limiter au maximum la présence de ce « bruit » parasite.

¹Rappelle-toi des calculs en décibels: 1 bit ayant deux valeurs possibles 0 ou 1, sa valeur en dB vaut 20 x log(2) = 6dB

Limite supérieure de la plage dynamique: la distorsion

La distorsion du signal représente la limite supérieure de la plage dynamique. Là encore, il ne s’agit pas de la même chose suivant que l’on parle d’acoustique, d’analogique ou de numérique.

* Niveau maximal supporté par l'oreille

Acoustiquement, c’est le seuil de douleur, se situant aux alentour de 120 dB SPL.

* Distorsion analogique ou "soft clipping"

Pour un système analogique (console, magnéto à bandes), plus on s’approche du niveau maximum et plus le système sature, distord, compresse le signal (« soft clipping » en anglais). Cette zone entre le « 0 » nominal et le maximum est mal définie et dépend du système. Elle peut s’étendre sur 10, 15 ou 20 dB voire plus.

Dans le travail analogique du son au niveau des préamps, cette zone où le signal est en saturation est particulièrement exploitée pour donner au son la couleur particulière apportée par l’appareil analogique.

* Distorsion numérique ou "hard clipping"

Dans le cas du numérique et de certains appareil électroniques, la philosophie de travail est toute autre. Ici, tant que l’on a pas atteint le maximum (ou quelques dB en-dessous en électronique), le signal est peu distordu sinon pas du tout. Mais dès qu’une certaine limite est franchie (0 dBFS en numérique), le signal distord.

Mais il ne s’agit plus d’une distorsion chaleureuse comme dans le cas de l’analogique. Elle est sale et doit être évitée (« hard clipping » ou écrêtage).

Tu peux faire le test à l’aide d’un limiteur. En poussant fort le signal dedans, tu peux te rendre compte de la destruction de plus en plus évidente du son.

Plage dynamique = SNR + Headroom

Maintenant que les limites inférieures et supérieures du signal sont bien définies, on peut alors définir la plage dynamique comme l’addition de ce que l’on appelle le rapport Signal/Bruit avec la marge dynamique supérieure ou « headroom » en anglais.

Représentation de la plage dynamique disponible d'un appareil, autour du niveau nominal à +4 dBu.

* Le rapport Signal/Bruit (ou "Signal to Noise Ratio", SNR)

Le rapport Signal/Bruit est la distance d’amplitude entre le niveau du bruit de fond et le niveau nominal. Dans le cas d’un appareil analogique, c’est un paramètre capital pour évaluer sa qualité. Plus il est élevé, mieux c’est.

* La marge dynamique, "Headroom"

Ce que l’on appelle le « headroom » est donc la marge représentant la distance d’amplitude entre le niveau nominal et le niveau maximal.

Comme on l’a vu, en analogique, il s’agit de cette zone mal définie ou le signal entre en distorsion mais n’est pas « jetable » pour autant.

Le terme « headroom » est donc surtout utilisé en numérique pour désigner la marge de sécurité qui sépare les pics du signal du niveau maximum autorisé à 0 dBFS.

Conclusion

Pour en revenir à notre exemple de musique classique. Si on veut le graver sur un vinyle à 60 dB de dynamique, la solution s’appelle la compression dynamique du son. Les premiers compresseurs/limiteurs ont été conçus dans le but d’adapter la plage dynamique en fonction de la dynamique originale du programme, de l’auditeur final et le type de média utilisé.

Maintenant que les présentations sont faites, la suite s’attachera à présenter plus en pratique l’importance de la dynamique dans la musique. 

Nous verrons en quoi il faut être vigilant dans la maîtrise de la dynamique pour toutes les phases d’une production musicale moderne, de l’enregistrement au mixage et mastering final.

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4 Replies to “La gestion des niveaux (4): Comprendre la plage dynamique”

  1. Harry

    Bonjour Monsieur Martin
    Je suis enchanté avoir survoler quelques volets d’articles que vous publié
    Pour le moment je m’efforce de comprendre le sens tellement que c’est enrichissant
    Je suis juste branché même pas amateur mais vouloir réaliser les sons qui me parcours dans la tête
    Je suis ravi de vous lire et d’apprendre de vous !
    Encore une fois merci de me votre connaissance à porté des musiciens en herbes comme moi
    – Harry
    – Cordialement

    Répondre
    1. Martin

      Bonjour Harry,
      C’est avec plaisir de vous transmettre le plus de connaissances possibles à votre apprentissage.
      Restez bien accroché car ce n’est que le début de ce blog!
      Merci de me lire et de votre commentaire et n’hésitez pas à me questionner si quelque chose n’est pas très clair.

      Répondre
  2. Samuel

    Bonjour,

    C’est bête, mais je n’ai toujours pas compris ce qu’est le plage dynamique. J’ai un micro sans fil où j’ai la caractéristique « plage dynamique 120 dB » et je n’arrive pas à savoir à quoi ça correspond, si c’est bon ou pas etc. Pouvez-vous m’aider ?

    Répondre
    1. Arsonor

      Bonjour Samuel,

      Cela veut simplement dire que ton micro est capable de restituer correctement des sons captés à un niveau jusqu’à environ 120 dB.
      Cette plage dynamique est ni plus ni moins que la différence entre deux autres caractéristiques du micro: sa pression maximale admissible – son niveau de bruit de fond.
      Autrement dit, tu peux gueuler sans problèmes dans le micro sans risque de faire saturer le son, si tu règles bien le gain d’entrée bien entendu!

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