Principes de fonctionnement d’un synthétiseur (6): La polyphonie

voies de polyphonie du synthétiseur

Un paramètre important de la synthèse sonore est la gestion et l’allocation du nombre de voies de polyphonie. Une seule voie veut dire que l’instrument sera capable de jouer une seule note à la fois et le synthé est dit « monophonique ».

En fait, les synthétiseurs sont restés monophoniques pendant de longues années. Il a fallu attendre le milieu des années 70 pour voir apparaître les premiers synthétiseurs polyphoniques (plusieurs notes jouées en même temps donc jeu d’accords possible). Mais c’est l’arrivée du numérique qui a littéralement accéléré les choses. Aujourd’hui, il est courant d’avoir à disposition jusqu’à 64 voies de polyphonie dans un instrument VSTi, voire 128 voies!

Malgré le nombre important de voies de polyphonie à disposition, la gestion de ces voies reste un point d’attention important dans le réglage d’un synthé VST. Nous allons voir pourquoi dans cet article, ainsi que divers modes associés qui influent sur la texture sonore ou la façon de jouer.

Qu'est-ce qu'une voie ("voice") de synthé?

Lorsqu’une touche et enclenchée, une voie est activée, c’est-à-dire le son programmé du synthé (des VCO au VCA avec leurs modulations) correspondant à la touche enfoncée. Et la voie est active jusqu’à ce que la touche est relâchée.

Si je joue une seule note à la fois, je n’utilise qu’une voie et l’instrument est donc « monophonique ». Mais si je joue un accord de 4 notes, le synthétiseur interprète l’accord comme disposant de 4 voies. C’est la polyphonie.

Schéma d'une voie de synthétiseur
Schéma des modules du synthétiseur représentant une voie. (source Audiofanzine)

A remarquer: une voix ne veut pas forcément dire un seul oscillateur!

La plupart des synthétiseurs monophoniques de l’époque fonctionnent avec au moins deux oscillateurs; ils sont monophoniques tant que ces oscillateurs sont enclenchés par une seule et même touche et le signal traité par une seule et même chaîne de filtre, enveloppe, volume de sortie…

Attribution du nombre de voies maximum à utiliser

Le paramètre de réglage du nombre de voies disponibles se retrouve souvent sous la dénomination « Voices », « Poly » ou « Max Voices ». On y règle le nombre maximum de voies qui peuvent être jouées en une fois (un enfoncement de touche). Pour le mode « Monophonique », le paramètre est réglé à « 1 », ou alors il se peut qu’il y ait un bouton « Mono ».

réglages des voies de polyphonie sur le synthé VST Xfer Serum
Section de réglage des voies de polyphonie sur le synthé VST Xfer Serum. L'option en monophonique et Legato est sélectionnée.

Pourquoi s'imposer un nombre maximum de voies disponibles?

D’abord pour des raisons évidentes de surcharge du processeur (CPU). Plus le nombre de voies pour produire un son est élevé, plus l’instrument va consommer des ressources et faire chauffer ton ordinateur.

L’autre raison est que si on ne s’impose pas une limitation, cela peut devenir contre-productif (plus de risques de problèmes engendrés) au niveau du jeu au clavier.

Le nombre de voies n'est pas toujours équivalent au nombre de touches enfoncées!

Retiens bien, ceci est très important! Comme on va le voir, d’autres réglages du synthétiseur exigent l’emploi de plusieurs voies. Par exemple, une note avec un long « Release » (ou avec la pédale de sustain enclenchée) continuera à « réquisitionner » une voie alors que la touche est relâchée (voir la définition du « release » dans l’article sur les enveloppes). Le mode « Unison » (voir ci-après) ou certains effets sont aussi un exemple de plusieurs voies activées à l’enclenchement d’une seule touche.

Il faudra alors régler ce paramètre du nombre de voies disponibles en conséquence.

Le synthétiseur monophonique

Ce type de synthétiseur (tu es au courant maintenant) fonctionne avec une seule voie, donc une seule note jouée à la fois. Il est donc particulièrement utile pour des sons de basses ou tout autre son qui n’a pas besoin de l’emploi d’accords harmoniques.

Ne confonds pas la monophonie du synthétiseur avec la caractéristique d’une piste audio qui peut être Mono ou Stéréo. Cela n’a rien à voir!

Dans l’exemple suivant, même si plusieurs sons jouent simultanément, ils sont tous joués par un synthétiseur monophonique:

Priorité de note

On trouve parfois une fonction de priorité (« Priority ») afin de choisir quelle note restera active si le nombre maximal de voies est dépassé (au moins deux notes jouées au lieu d’une seule dans le cas du monophonique).

Le réglage le plus courant est la note la plus récente (« Last »), qui garde la dernière note jouée active et commence à désactiver les notes les plus anciennes. « Top » (ou « highest », la plus haute) est également courant. « Bottom » (ou « lowest », la plus basse) peut être utilisé de la même manière pour faire ressortir les basses.

Il est intéressant de signaler que dans les années 70, les synthés américains et les synthés japonais se différenciaient entre autres par le fait que les américains préféraient donner la priorité à la note la plus grave, alors que les japonais favorisaient la plus aiguë, entraînant des différences de techniques de jeu dans la gestion des transitions mélodiques entre les notes.

Le mode legato

Le legato est un mode de jeu spécifique à une configuration monophonique. Il contrôle la manière dont le son va passer d’une note à l’autre:

C’est-à-dire que lorsqu’une voix mono est interrompue, l’état du commutateur Legato détermine si les Enveloppes/LFO éventuels modulant la note seront ou non re-déclenchés (c’est ce qu’on appelle en anglais le « re-trigger »). Lorsque le Legato est activé, les enveloppes/LFO ne se déclenchent pas à nouveau, ce qui permet de passer en douceur à la nouvelle note. Toutefois, tu peux souhaiter parfois que les modulations se re-déclenchent pour que chaque note ait la même définition. Dans cette situation, il faut alors désactiver le Legato.

Remarque: On trouvera aussi pas très loin un réglage de Portamento (ou « Glide ») qui contrôle lui la manière dont la hauteur du son va « glisser » d’une note à l’autre.

La polyphonie

C’est la capacité à générer simultanément plusieurs voies, disposant chacune de sa propre chaîne de production (oscillateurs) et de traitements (filtres, amplificateur, enveloppes…). Si on enfonce plus de touches qu’il n’y a de voies disponibles, un système de priorité (comme dans le cas du monophonique) se met en place.

Le jeu d'accords

Avec la polyphonie, il est maintenant possible de jouer des accords (plusieurs notes jouées en même temps).

Mais attention! Comme on l’a vu et je le répète: le nombre de voies n’est pas équivalent au nombre de touches enfoncées. Donc si on définit la polyphonie comme le nombre de notes pouvant être jouées simultanément, on ne parle pas exactement de la polyphonie réelle de l’instrument! En effet, certaines fonctions du synthétiseur dans la création d’une sonorité sont gourmandes en utilisation de voies. Comme notamment le mode Unison:

Le mode Unison

Ce paramètre permet de dupliquer une voie en double (ou beaucoup plus encore) pour chaque note jouée. 

Mais pourquoi faire?

En combinant plusieurs ondes ou échantillons, on obtient un son plus riche harmoniquement, et plus original.

Bien sûr, si la voie est seulement dupliquée, on obtiendra juste un son deux fois plus fort. Le réglage de l’Unison est donc toujours accompagné au moins d’un réglage de « detune » pour différencier les voies dupliquées en pitch et ainsi obtenir un son plus gros, plus épais, comme une sorte de chorus.

La quantité de « detune » est souvent configurable. D’autres paramètres que le « detune » permettent de différencier les voies: on retrouve très souvent aussi la différenciation dans l’espace avec un réglage des voies plus ou moins écartées dans l’espace stéréo. Parfois, on pourra aussi régler différemment le timbre ou le timing (delay embarqué).

Omnisphere Power synth Unison mode
Section du mode Unison sur Omnisphere (Spectrasonics)

Le nombre de voies allouées à l’Unison divise d’autant la polyphonie de l’instrument! Par exemple, si l’Unison est réglé à « 2 » et que le nombre max de voies de polyphonie est de « 4 », on a alors une polyphonie réelle de 2 (seulement deux notes peuvent être jouées en même temps)! Donc faire attention à cela quand on utilise l’Unison.

Effet de l’activation du mode Unison sur une simple onde Sawtooth (les voies sont largement écartées et le detune légèrement augmenté):

Le mode Retrigger

On a vu que le Re-trigger est l’action de re-déclencher une note après l’avoir relâchée. Quand cela arrive, le mode Legato (comme expliqué auparavant) permet de ne pas re-déclencher à zéro toutes les modulations « qui font le son » de la note jouée.

Mais le mode Retrigger est une autre option permettant à une note d’être rejouée (re-trigger) en gardant toujours la même voie que précédemment. C’est quoi ce charabia?

Et bien par exemple, prenons une note avec un long release. Si je relâche la touche, le son associé à sa voie continue de jouer. Mais si je décide de ré-enclencher rapidement la note alors qu’on entend encore le son précédent (dû au long release), une voie additionnelle de polyphonie ne sera pas activée grâce à ce mode re-trigger. OUF! Ça va c’est compréhensible?

Si le mode Retrigger n’est pas activé, il y a des risques de « consommer » plus de voies de polyphonie qu’il n’est nécessaire. Donc cela peut s’avérer utile pour gagner en ressources CPU.

La multi-timbralité

Il fut un temps où il fallait posséder autant de synthétiseurs que de sonorités différentes à exécuter. Les synthétiseurs étaient alors mono-timbraux. Aujourd’hui, quasiment tout synthé est multi-timbral (à part quelques synthétiseurs analogiques monophoniques).

La multi-timbralité, c’est la capacité à produire simultanément des sons non seulement de natures différentes, mais dont les enveloppes de filtres et d’amplification pourront également être différenciées.

Certains synthés (la plupart d’entre eux aujourd’hui) permettent donc la superposition de plusieurs types de sons différents par l’enfoncement d’une seule touche du clavier. Chaque type de son est alors intégré dans ce qu’on appelle un « patch ». Là encore, le nombre de voies de polyphonie est grandement mis à contribution pour générer tous ces sons en même temps.

Patch layering

La création d’un son peut se faire sur plusieurs couches de patchs (layering). A l’instar de l’Unison, on superpose plusieurs voies. Sauf qu’au lieu d’être les mêmes (dupliquées), on superpose des voies différentes, donc différents types (timbres) de son.

Si on utilise deux « layers », donc deux patchs, on perd la moitié des voies disponibles!

Exemple de multi-patch composé de 4 sons différents en appuyant sur une seule touche (VST Synth Spectrasonics Omnisphere):

C’est aussi la porte ouverte à l’orchestration! C’est la mise en oeuvre sonore dans un séquenceur, soit directement dans le synthé, soit dans la DAW. A toi de partager les voies de polyphonie entre les différentes pistes, si l’instrument ne le fait pas automatiquement.

Split Patch

La multi-timbralité offre d’autres options comme la possibilité de partager (« splitter ») le clavier en plusieurs zones qui joueront différents patchs. On dédie une partie du clavier à un type de son, une autre partie à un autre type de son.

Polyphonie en split patch sur Omnisphere (mode Stack)
Exemple de Split Patch sur Omnisphere: différents sons sont activés à différents endroits du clavier.

Conclusion

Finalement, beaucoup de fonctions sont gourmandes dans l’emploi de plusieurs voies de polyphonie. La polyphonie dans le sens de pouvoir jouer plusieurs notes en même temps est alors vite réduite!

Avec les capacités informatiques actuelles, ceci devient de moins en moins un problème, même s’il faut toujours rester vigilant sur la surcharge du processeur lorsque l’on crée un son avec un instrument VSTi.

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