Principes de fonctionnement d’un synthétiseur (3): Les filtres

Filtres synthétiseur Minimoog

Les filtres sont les composants d’un synthétiseur qui servent à façonner le son (c’est le module VCF d’un synthétiseur analogique). En synthèse soustractive, les oscillateurs produisent habituellement un son fort et spectralement intense. Cette rudesse originelle du son peut être « tamisée » afin d’obtenir un son exploitable dans notre mixage. C’est là que les filtres entrent en jeu.

Un filtre est un contrôle en volume autour d’une fréquence spécifique. Pour une revue de tous les types de filtres existants, je t’invite à (re)voir la série d’articles sur les EQ. Mais ne t’y trompes pas! L’utilisation d’un filtre dans un EQ n’est pas la même que dans un synthétiseur! Ces derniers produisent des effets beaucoup plus diversifiés et complexes.

Comment les filtres sont utilisés de manière créative?

Deux procédés essentiels appliqués sur les filtres vont te permettre de donner expression et vie à ta musique, surtout si c’est une production essentiellement digitale et programmée:

  • le balayage du filtre (filter sweep)
  • la modulation de filtre

Filter sweeps

Une technique populaire, qui est la pierre angulaire de la plupart des styles de musique électronique, est l’utilisation du filtre low-pass (ou band-pass) pour balayer le spectre en fréquences de manière drastique (ce que l’on appelle donc un « sweep »).

Le filter sweep peut aussi bien s’appliquer sur des sons individuels comme des sections d’un morceau entier, tels que lors des moments qui amènent un « buildup » ou un « drop ». Il apporte cette touche de mouvement et d’expression à l’instrument live. Ici utilisé sur du bruit:

La raison majeure pour laquelle l’effet fonctionne si bien est cette promesse d’excitation à venir, cette capacité à suspendre la récompense aussi longtemps qu’on le peut sans perdre l’auditeur. Les filtres permettent de retenir des sons individuels, ne révélant jamais complètement le son brut, avant de relâcher l’auditeur dans une toute autre section du morceau.

Modulation de filtre

Avant de parler des modulations, il faut bien le signaler brièvement ici car il s’agit de l’autre outil incontournable à l’utilisation d’un filtre. Appliques une séquence basique ou un générateur d’enveloppe¹ sur un filtre et tu prends alors le contrôle sur tout un potentiel de mouvements rythmiques complexes que tu n’aurais probablement pas imaginé si tu voulais le programmer manuellement.

Voici quelques exemples audio ci-dessous. Tu peux aussi en écouter sur le lien suivant: https://www.arturia.com/products/software-effects/filters-bundle/overview

Tu peux appliquer ce type de filtrage sur des drums, des lignes de synthé, comme effet spécial sur une performance vocale Pop, sur de tout! Et très important, la modulation de filtre est également une excellente source de mouvement à appliquer à d’autres effets tels que la distorsion et le délai, te permettant de moduler, c’est-à-dire de changer dans le temps, l’impact de ces effets sur le signal source.

¹ L’enveloppe, qui sera vue dans un prochain article, est une source de modulation du son, dont l’impact est fondamental sur le timbre même. Ainsi, à partir du même son synthétique de base, on peut simuler une note de piano, de violon ou d’une percussion juste en changeant les paramètres de l’enveloppe appliquée sur le filtre et sur le volume de sortie.

Commandes principales de la section filtres

Le type de filtre et sa pente (poles)

Chaque description de filtre inclut une information d’amplitude et de fréquence. Par exemple, « couper le haut » se réfère à une réduction d’amplitude dans les hautes fréquences. Pour faire cela, on peut utiliser un filtre « low-pass ». A l’inverse, pour « couper le bas », un filtre « high-pass » serait utilisé. Il existe une multitude de filtres mais le plus utilisé est le low-pass.

L’efficacité d’un filtre est liée à sa pente (en dB/octave ou pôle comme vu dans cet article). Plus la pente est importante, plus le filtre est efficace. La pente des filtres les plus courants est à 12 dB/octave (2-pole) ou 24 dB/octave (4-pole).

les types de filtres d'un synthétiseur
Le filtre Low-Pass

C’est de loin le filtre le plus utilisé dans un synthé. Tout synthétiseur digne de ce nom en possède au moins un (sauf peut être les synthés spécifiquement dédiés à la synthèse FM). Sa fonction est de laisser passer les basses fréquences alors que les hautes fréquences sont « coupées » ou nettement réduites. C’est la base de la synthèse soustractive pour adoucir le son des oscillateurs.

Les autres types de filtre

Le High-Pass: tu l’auras compris, il agit de façon inverse au low-pass. Son utilité est donc moins courante, sauf si on veut atténuer l’énergie dans les basses fréquences ou créer des sons de type cristallins.

Le Band-Pass: Laisse seulement passer une certaine bande de fréquences, atténuant tout au-dessus et en-dessous de cette bande.

Le Notch: parfois aussi appelé « band-reject », c’est l’inverse du band-pass. Il permet de couper une certain bande autour de la fréquence définie. Faire un « sweep » d’un filtre Notch à travers le spectre est un bon moyen de créer des effets et des mouvements additionnels aux sons de synthé, etc, …

Le All-Pass: Il agit non pas sur l’amplitude des fréquences mais comme un déphaseur, c’est-à-dire qu’il inverse la phase du signal à partir d’une fréquence définie. L’effet de Phaser peut notamment être obtenu avec ce filtre. Ceci sera traité plus en détail dans les articles portant sur les traitements temporels du son.

Le Combfilter (ou filtre en peigne): là aussi j’en parlerai plus longuement dans les traitements temporels du son puisqu’il s’agit du résultat d’une addition de signaux délayés à partir du signal source. Son nom de « peigne » vient de sa forme puisque c’est une suite de pics de fréquence régulièrement espacés.

Le multimode ou multipôle: Un filtre qui opère en utilisant plusieurs types de filtre sélectionnables. En opposition à une configuration fixe, ce filtre est dynamique et permet notamment des effets évolutifs de « morphing » passant du low-pass au high-pass, en passant par le band-pass et le notch.

Le cut-off (fréquence de coupure)

Le cut-off est le paramètre le plus important quelque soit le filtre. Il définit la fréquence à laquelle le « cut » ou « boost » en amplitude se situe ou doit commencer.

Par exemple, une onde en dent de scie jouant à 261 Hz (environ la note Do3) crée des harmoniques qui vont au-delà de l’audition humaine (> 20 kHz). Le son est alors strident et ennuyeux. Un filtre low-pass est alors nécessaire pour atténuer ces harmoniques supérieures.

Si le cut-off est au maximum (trop haut), le filtre n’aura aucun effet sauf peut-être sur les harmoniques imperceptibles à notre audition. Mais, au fur et à mesure de la diminution du cut-off, plus de fréquences supérieures seront « coupées », créant un son plus étouffé.

Enfin, si le filtre low-pass est réglé à une fréquence très basse, le son va s’évanouir jusqu’au silence puisque toutes les fréquences du son au-dessus du cut-off seront coupées.

La résonance

Afin de pimenter l’effet du filtre, les concepteurs de synthétiseur ont ajouté ce paramètre de résonance. Quand on parle de filtres low-pass ou high-pass, la résonance se réfère à un « boost » en amplitude au niveau du cut-off.

Une résonance élevée va radicalement booster les harmoniques situées au niveau de la fréquence de coupure. L’effet sera donc d’autant plus prononcé que la résonance est élevée. Et si cette dernière est très élevée, on peut commencer à entendre distinctement la fréquence située au niveau du cut-off, comme si on avait ajouter un oscillateur avec une onde sinusoïdale à la fréquence de coupure. Enfin, si on pousse la résonance dans ses retranchements, le filtre va même commencer à osciller! C’est ce qu’on appelle l’auto-oscillation du filtre.

Les exemple ci-dessous illustrent tout cela (Attention au volume audio pour tes oreilles!!):

Un filtre low-pass à 1000 Hz (pente 24 dB/oct) est appliqué sur une dent de scie 261 Hz:

La résonance est progressivement augmentée jusqu’à entendre distinctement les 1000 Hz, puis carrément l’auto-oscillation du filtre:

Effet de va-et-vient du filtre (avec un LFO), d’abord sans résonance, puis en augmentant la résonance à 100%, puis en revenant à 0%:

Sur des filtres notch et band-pass, la résonance agit différemment: elle devient un contrôle de largeur de bande. Elle est alors parfois appelée par le paramètre « Q » en référence à la particularité d’un EQ paramétrique.

Plus forte est la résonance, plus étroite sera la bande de fréquences « boostées » (dans le cas d’un band-pass) ou coupées (dans le cas d’un notch).

Un filtre notch à résonance basse est une arme secrète en synthèse sonore, particulièrement sur des gros sons de basse: il va en effet enlever une large quantité d’énergie dans les mids (pour faire de la place aux autres instruments), tout en maintenant la brillance pour faire ressortir le son dans le mix, et la profondeur dans les basses fréquences.

Le son des filtres analogiques

Particularité de l'analogique

L’amplification du son par un appareil analogique induit des effets secondaires dits de non-linéari. C’est-à-dire que quand un son devient intense jusqu’à la saturation du circuit électronique, cela crée de la distorsion. Face à cet effet, la particularité du circuit analogique est de réagir de façon progressive. C’est ce qui donne ce son « chaud » et cette « rondeur sonore » propres aux appareils électroniques fonctionnant avec des lampes ou tubes.

Puis vint les transistors, ces composants électroniques permirent la miniaturisation des appareils analogiques. Puis vint enfin les ordinateurs et le numérique qui eux ne vont pas du tout réagir de la même façon face à l’amplification du son. C’est pourquoi ce son agréable de l’analogique s’est perdu au profit d’un son numérique plus neutre et « froid », dépourvu de tout défaut (qui étaient en fait des qualités sonores).

Tant et si bien que les constructeurs de plugins ou instruments virtuels d’aujourd’hui cherchent à tout prix à reproduire avec des algorithmes, une émulation la plus fidèle possible du son analogique.

Filtres disponibles sur le synthétiseur Operator Ableton
Filtres disponibles sur Ableton: en dehors de Clean, les 4 autres (OSR, MS2, SMP et PRD) sont des émulations de filtres matériels de synthétiseurs analogiques classiques

La plupart des synthétiseurs analogiques de l’époque qui sont sortis du lot, sont devenus populaires grâce aux oscillateurs qu’ils proposaient, mais aussi et surtout grâce au son caractéristique de leurs filtres.

Chaque filtre, de chaque marque, a sa propre « personnalité ». Le plus emblématique d’entre eux étant certainement le filtre Low-pass inventé par Robert Moog.

Le chef d'oeuvre de Bob Moog

Ce fameux filtre, objet de tous les superlatifs, c’est le Moog 904a. Conçu pour les systèmes modulaires Moog, il s’agit d’un low-pass 4 (donc 24 dB/octave) résonant, le premier du nom avec une telle pente. Il est dit à « transistors ladder » car il utilise 5 paires de transistors NPN. Souvent imité mais jamais égalé, ce filtre, protégé par un brevet, est devenu LA référence, avec un son rond, compact, profond et terriblement musical.

Ce qui rend le son du filtre Moog si spécial a fait l’objet de multiples études académiques et de spéculations.

Le filtre peut assurément se mettre en saturation, d’une manière musicale plaisante, de part sa conception en « échelle de transistors » qui « clippent » graduellement. Mais c’est aussi cette célèbre pente résonante à 24 dB/octave qui est centrale à l’essence du son Moog!

Bref historique d'autres filtres notables

Et il y en eut effectivement d’autres, plus ou moins similaires, comme le 4012 de ARP ou totalement différent comme le VCS3 de EMS. Ce dernier est conçu avec des diodes contrairement aux transistors. Le résultat fut un filtre moins précis mais toujours avec du caractère. La preuve avec l’utilisation qu’en firent des artistes comme Pete Townshend des Who, ou encore David Bowie ou Brian Eno.

Bien que rarement utilisés comme effet de studio, les guitaristes utilisaient depuis toujours des filtres, ne serait-ce que dans le cadre d’une autre chaîne d’effets plus complexe. Le son wah-wah classique, omniprésent dans les années 70, était simplement un filtre à commande dynamique couplé à une pédale ou à un suiveur d’enveloppe.

Quelques décennies plus tard, c’est la fameuse Bassline TB-303 de Roland qui fut un succès commercial. Son efficacité pour créer des sons évolutifs en jouant « live » explique son importance dans la musique techno.

Néanmoins, les filtres sont restés gadgets jusqu’à ce qu’ils refassent surface dans les années 90, enveloppés autour de boucles de batterie échantillonnées. Etant donné que la plupart des échantillonneurs possèdent toutes les fonctions d’un synthétiseur analogique, c’est un jeu d’enfant pour animer une boucle de batterie statique avec un filtrage sophistiqué. Ce son a énormément retenu l’attention et, sur fond de vague de fétichisme rétro lié aux synthés vintage, les filtres sont devenus un outil de production de facto pour les producteurs de house et de DnB qui les ont utilisés pour exploiter davantage leurs samples breakbeat et disco.

Quelques filtres dédiés sont apparus dans les magasins, parmi lesquels la classique Mutronics Mutator en 1996 et le célèbre Sherman Electronics Filterbank un an plus tard. A la fin des années 90, les ondes radio étaient truffées de boucles de sons filtrés, notamment avec l’avènement de la French Touch.

Cette boîte hardware représente une bonne partie du son des années 90 avec des artistes comme FatBoy Slim, Radiohead ou Daft Punk qui en usèrent et abusèrent.

Il va sans dire que le musicien d’aujourd’hui dispose d’une profusion de filtres parmi lesquels choisir, en hardware ou software.

Avec les avancées en matière de modélisation de circuits analogiques observées ces dernières années, l’attention des utilisateurs et des développeurs s’est principalement portée sur les reproductions de bout en bout de synthés analogiques complets.

Mais le succès d’une émulation de synthétiseur dépend souvent de la précision avec laquelle le filtre du synthétiseur a été modélisé. C’est généralement ce qui donne au synthétiseur une grande partie de son caractère sonore (et pourquoi certains synthés finissent par être plus prisés que d’autres).

Dans cet esprit, il n’est pas surprenant que la qualité moyenne de plugins de filtre ait également augmenté de façon spectaculaire ces dernières années.

Le fait de pouvoir utiliser des synthétiseurs numériques comme les tables d’ondes ou FM par exemple en association avec des filtres sonnant véritablement analogiques, offre à la fois une flexibilité optimale et un son hybride numérique-analogique vraiment moderne.

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