On obtient un mixage stéréo large en différenciant le contenu entre les canaux gauche et droit. Plus la différence est évidente, plus la largeur stéréo se ressent. Tout est une question d’équilibre. Car mettre trop de différence rend un mixage bancal, qui perd toute sa substance lorsqu’on bascule en mono. Et nous autres, humains, aimons la musique naturellement équilibrée autour du centre fantôme.
« Modern mixing is all about being wide, with different styles requiring different types of width » *
* »Le mixage moderne se résume à devoir sonner large, avec différents types de largeur selon les styles », citation de Delbert Bowers, reprise dans « Mixing Secrets for the small studio » de Mike Senior et extraite d’un article de Sound On Sound (Juin 2016).
Facteurs d'attention préalables au traitement de la largeur stéréo
Quelle que soit la raison, si tu sais pourquoi tu le fais, il devient plus facile de prendre des décisions. Voici donc 6 points d’attention essentiels sur lesquels se pencher avant de se lancer tête baissée dans la dimension spatiale du mixage:
1) Enceintes VS Casque
J’ai décris dans l’article précédent à quel point la perception stéréo entre une écoute au casque et une écoute à travers des enceintes n’est plus du tout la même!
Beaucoup te diront à juste titre qu’il ne faut pas mixer au casque. Mais ce n’est pas totalement vrai! D’abord parce qu’il sera toujours préférable d’utiliser un bon casque par rapport à une bonne paire d’enceintes mais placée dans un environnement acoustique négligé. De plus, à l’heure où la musique est écoutée au casque par une large part des gens, il est indispensable de vérifier son mixage à la fois sur ses enceintes et au casque!
Il faut juste avoir conscience que les deux sont nécessaires si on veut transcrire au mieux le mixage vers toutes les manières d’écoute finale du morceau. Essaie donc de trouver le bon compromis entre les deux.
2) La notion de contraste
Si tout est mixé fort, rien ne sonnera fort. Si tout est mixé large, rien ne sonnera large, etc…
Quelque soit le rendu sonore recherché sur un élément du mix, il faut systématiquement penser à contrebalancer celui-ci en essayant d’atteindre l’objectif inverse sur un ou plusieurs autres instruments. C’est la règle du contraste sonore.
Lors de l’écoute d’un mixage avec des hautes fréquences très agressives, suivi de l’écoute d’un mixage bien équilibré, ce dernier paraîtra terne. On peut utiliser cette sensation à notre avantage pendant le mixage. En créant le contexte, tu donnes un point de référence à l’auditeur. Si tu veux un élément vocal devant et fort, avec une présence fortement marquée, contraste-le avec des choeurs (« backings ») très calmes, mixés très larges et avec les hautes fréquences atténuées. De la même manière sur ce qui nous intéresse ici, si tu veux un refrain sonnant plus « large » que les couplets, alors rend les éléments du couplet plus étroits. Si à la fois ton refrain et ton couplet sont mixés larges, alors aucun ne sonne finalement large.
3) Largeur VS Profondeur
Une autre règle à prendre en compte est la suivante: qu’importe le réalisme du rendu souhaité, afin de produire une image sonore large, il convient de respecter la dichotomie largeur/profondeur.
Comprends par là que plus un élément du mix doit sonner « large », moins il devra être profond. Inversement, si tu souhaites placer un instrument en fond de mix, ce dernier ne pourra être qu’étroit. En un sens, ce concept se rapproche d’une sorte de point de fuite sonore.
Pour illustrer cette règle, prenons le cas d’un pianiste. Installé devant son piano, il entendra naturellement les notes graves venant de sa gauche, et les notes aigües venant de sa droite. Assis devant le piano, on a donc une image sonore très large.
Comment se traduit ce principe de façon concrète en situation de mixage? Et bien, en premier lieu sur les réglages de panoramique (voir plus loin sur les outils de traitement). Et dans ce cas particulier, c’est par le réglage du « Key » sur le panoramique d’un instrument Midi. Ainsi, tu peux améliorer l’impression de l’auditeur d’être assis avec toi devant le piano. A l’inverse, en s’éloignant de plus en plus du piano, la largeur stéréo se rétrécit.
La gestion de la profondeur dans un mixage, quant à elle, est encore une autre histoire…
4) L'équilibre de l'image stéréo
Alors que le déséquilibre gauche/droite est le type le plus gênant de tous les problèmes stéréo, le déséquilibre dans la largeur stéréo est le plus courant. Dans la plupart des mixages, on s’attend à ce que les éléments soient répartis sur le panorama stéréo afin qu’il n’y ait pas de « manques », comme un chœur est organisé sur scène.
Le type de déséquilibre de largeur stéréo le plus évident est un mixage presque mono (qui utilise très peu les côtés). Bien qu’un tel mixage puisse être dérangeant, il peut parfois être approprié. De tous les genres, le hip-hop est le plus connu pour cela. Les rythmes, les basses et les voix sont rassemblés autour du centre, et seuls quelques sons, comme des réverbs ou des pads d’accompagnement, sont envoyés sur les côtés.
Voici un exemple d’un tel mixage (mais tous les morceaux hip hop ne sont pas mixés de cette manière):
Un autre type de déséquilibre de largeur stéréo, et très courant, est un mixage dont la plupart de ses éléments sont placés à gauche, au centre et à droite mais rien entre. De nombreux débutants proposent de tels mixages simplement parce qu’ils ont tendance à déplacer chaque signal stéréo à l’extrême. Cela rend un mixage non seulement désagréable mais pour un arrangement dense peut être considéré comme un gaspillage d’espace stéréo. Là encore, l’arrangement joue un rôle: s’il n’y a pas beaucoup d’instruments, il faut les élargir pour remplir les espaces du mixage, mais ce n’est pas toujours approprié.
Un exemple de ce type se trouve dans le morceau Hey Ya! de Outkast: pendant le refrain, les chœurs rééquilibrent le panorama stéréo qui est légèrement instable pendant les couplets. Le changement entre les deux est un exemple de variation dans l’équilibre stéréo pour maintenir l’intérêt.
Un dernier type de déséquilibre de largeur stéréo implique un panorama stéréo qui manque dans une zone spécifique. C’est comme avoir trois joueurs adjacents manquants dans une rangée de trompettistes. Identifier un tel problème est plus facile avec une configuration stéréo large et précise. Ce type de problème est généralement résolu par des ajustements de panoramique.
5) L'équilibre fréquentiel
Élargir le son dans les hauts-médiums et les hautes fréquences aide à ajouter de la clarté et de la présence. C’est une bonne idée si le mixage sonne trop plat à la base. Mais si au contraire le mixage souffre de sonorités trop aiguës et agressives, cela va empirer l’effet.
La moralité est de toujours garder une oreille sur la balance tonale quand on fait des ajustements de panoramique et de largeur stéréo. Trop de variations entre gauche et droite sur une zone de fréquences particulière risque aussi de décaler l’image stéréo sur un côté. Si nécessaire, utiliser un EQ pour corriger.
L’utilisation d’un EQ ou compresseur en mode mid/side (M/S) est particulièrement utile dans ce cas pour affiner l’équilibre en fréquences de la stéréo. Avoir le canal « Mid » trop terne et les « sides » trop fort dans les aiguës ne va pas sonner normal et naturel.
En ce qui concerne les zones de fréquences qui se chevauchent entre divers instruments, le traitement EQ ou le « side-chaining » aide à bien y remédier en général. Mais la variation sur la largeur stéréo peut aussi aider à obtenir une meilleure séparation et diminuer le masquage dans le mixage. Ainsi certains éléments moins « importants » sont rendus plus larges pour faire de la place et donner de l’attention aux éléments principaux qui conduisent le morceaux, comme la voix ou une mélodie « lead » par exemple.
Eviter la largeur stéréo dans les basses fréquences
Avoir des basses fréquences très larges aura des effets négatifs sur le mixage. Les fréquences d’une basse large souffriraient d’annulation de phase en passant en mono (voir point suivant), rendant le son faiblard.
Les basses prennent aussi beaucoup de place (plus diffuses et non directives par rapport aux hautes fréquences). Donc en les gardant en majorité en mono, tu peux utiliser le reste du spectre stéréo pour les autres éléments du mixage. Typiquement le Kick et la basse seront gardés majoritairement mono pour un mixage plus puissant et équilibré.
6) Largeur Stéréo et Mono-Compatibilité
Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’élargissement et d’autres effets stéréo peuvent être exagérés. Avec des pistes larges au-delà des haut-parleurs, certaines informations stéréo sont généralement perdues en raison de problèmes de phase lorsque le mixage est sommé en mono. Une baisse de niveau, un amincissement voire même une annulation totale de certains sons est tout à fait possible.
Les limites de la stéréo
Il y a l’argument selon lequel de nombreux espaces publics, comme les clubs et les magasins, utilisent des systèmes de sonorisation mono.
Le secret du mixage en mono
Cela peut paraître contre-intuitif, mais écouter le mixage en mono est une excellente pratique pour améliorer la largeur stéréo!
Une fois que le morceau sonne bien en mono (bien avant les traitements de panoramique, reverb, delay…, voir ci-après), il sera plus facile par la suite de le mettre en valeur dans l’espace stéréo. Car écouter en mono donne accès à la version la plus transparente du mixage, où l’équilibre fréquentiel et dynamique se décèle plus facilement. Cette vue globale moins complexe aide à prendre les bonnes décisions pour la suite.
J’aime enfin considérer le mono comme un contrôle d’assurance qualité. Si je me suis trop appuyé sur le panoramique et d’autres astuces de largeur pour améliorer mon mixage, cela devient clair lorsque je bascule en mono si le son se rétrécit.
Les outils de traitement de la largeur stéréo
Je présente les outils et techniques suivantes de manière très succincte. Ce n’est pas l’objet de l’article de rentrer dans les détails et pratiques de ceux-ci (voir les futurs articles à ce sujet).
1) Le panoramique (Pan et Autopan)
Parmi la multitude de façon d’altérer la largeur stéréo, le « panning » est un moyen simple et efficace de positionner une piste plus du côté gauche ou droit. Tout en tournant le potard du Pan, écoute attentivement pour trouver le « sweet spot » de la piste en question au sein du mixage. Comme vu précédemment, il faut toujours veiller à garder l’équilibre de l’image stéréo pendant qu’on change les panoramiques de telle ou telle piste.
L'effet autopan
Une technique efficace est l’utilisation d’un « autopan ». Comme son nom l’indique, il sert à créer des mouvements de panoramique automatisés. Appliqué sur un motif souvent trop statique de « hi-hats » électronique, cela ajoute un petit mouvement stéréo pour garder les choses intéressantes.
Un autre classique est de l’appliquer sur des motifs vocaux. C’est un moyen simple et créatif d’ajouter un intérêt rythmique dans la largeur stéréo. En ne traitant que certains mots, il joue également dans la stratégie de largeur par contraste. Un peu de cet effet attire l’attention de l’auditeur mais attention à ne pas le fatiguer s’il est utilisé pendant trois minutes d’affilée!
2) Reverb
La reverb est l’outil par excellence qui va te faire passer le son dans l’espace en trois dimensions! Elle va non seulement affecter le son au niveau de sa largeur stéréo mais aussi et surtout dans sa profondeur.
Voir le point précédent Largeur VS Profondeur pour avoir un début d’explication sur l’effet que peut avoir la reverb sur la largeur stéréo.
Il existe une multitude de types de reverb et aussi des tas de façons de l’utiliser! Savoir en choisir une et bien la configurer sans altérer radicalement l’intégrité sonore requiert beaucoup de pratique. La reverb est un sujet très vaste qui sera abordé progressivement dans ce blog.
3) Delay et effet Haas
L’autre effet pour travailler sur la largeur stéréo est bien sûr le delay. Et plus particulièrement dans ce cas précis, l’utilisation de l’effet Haas. Voici succinctement sa configuration:
- Dupliquer la piste sur laquelle on veut appliquer l’effet;
- Panner l’une complètement à gauche, l’autre complètement à droite;
- Sur l’une des deux, insérer un delay, sans feedback et avec un temps pouvant varier entre 1 et 35 ms Max!
- Des variantes de l’effet sont possibles en appliquant en plus sur la piste « retardée » une différence de gain entre -10 et +10 dB et/ou une atténuation dans les hautes fréquences.
Cette technique est infaillible pour créer une sensation d’une seule et large piste stéréo, sans avoir à changer la qualité timbrale du signal. L’oreille ne perçoit plus l’effet comme un delay mais comme une sensation générale d’espace.
Mais il y a un inconvénient à cette effet: c’est sa compatibilité mono (voir point précédent). Toujours vérifier que l’on ne dégrade pas trop le son lorsqu’on bascule en mono! Une astuce est de conserver une version mono et centrée de la piste.
4) Doublage de piste
Pour faire sonner une piste large mais équilibrée entre les enceintes gauche et droite, une autre technique est de doubler la piste et de « panner » l’une à gauche et l’autre à droite d’un montant égal.
Si on s’arrête là, l’audio semblera simplement provenir du centre fantôme mais aucun effet de largeur stéréo! La technique est donc de différencier les deux pistes en altérant légèrement l’une par rapport à l’autre.
Le moyen le plus simple est d’enregistrer deux fois une même prestation. Et si le son vient d’un synthé (instrument Midi), il suffit simplement d’altérer le patch. Si aucune de ces options n’est possible, tu peux utiliser les EQ et autres effets pour créer une différence entre les deux pistes. Tu peux aussi les envoyer dans des bus de delay ou reverb différents pour donner à chacune sa propre sensation de temps et d’espace.
La technique du Micro-shift
Une autre approche encore dans le doublage des pistes est d’utiliser le « micro-shifting ». Cela permet d’obtenir à la fois une largeur importante ou plus subtile sur une piste qui reste par ailleurs centrée dans le mixage. Pour cela, il te faut dupliquer la piste deux fois (donc trois versions différentes). Garde la première centrée, la seconde pannée à fond à gauche puis la troisième à fond à droite.
La technique est maintenant d’appliquer un « pitch-shift », entre 5 et 10 cents, sur la deuxième (en positif) et troisième piste (en négatif). Tu peux finalement ajuster le gain sur l’une ou l’autre selon la convenance.
5) Un mot sur les plugins d'élargissement stéréo ("stereo enhancer/imager")
Conclusion
La gestion de la largeur stéréo est essentielle à un mixage de qualité professionnelle. Mais avant de te jeter sur le meilleur plugin d’élargissement de stéréo, veille à avoir en tête les recommandations de cet article. Et surtout, commence par tester ces techniques simples avec les outils que tu possèdes déjà dans ton arsenal.
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